
La douleur thoracique est l’un des motifs de consultation les plus fréquents en médecine, tant en soins primaires qu’en cardiologie.
Ce symptôme, souvent alarmant pour le patient, peut avoir des origines variées, allant de causes bénignes à des pathologies potentiellement mortelles. En tant que cardiologue, l’évaluation de la douleur thoracique nécessite une approche méthodique, combinant anamnèse détaillée, examen clinique rigoureux, et investigations complémentaires adaptées.
Cet article explore les causes, les caractéristiques cliniques, les diagnostics différentiels, et la prise en charge de la douleur thoracique, en mettant l’accent sur son importance dans le cadre cardiologique.
1. Introduction
La douleur thoracique est un symptôme subjectif qui peut refléter une atteinte de divers organes ou systèmes situés dans la cage thoracique, notamment le cœur, les poumons, l’œsophage, les muscles, les os, ou encore les nerfs. En cardiologie, elle est souvent associée à des pathologies graves telles que l’infarctus du myocarde ou l’embolie pulmonaire, mais des causes non cardiaques, comme les reflux gastro-œsophagiens ou les douleurs musculo-squelettiques, sont également fréquentes. La complexité de ce symptôme réside dans la nécessité de différencier rapidement les étiologies graves des causes bénignes, afin d’optimiser la prise en charge et d’éviter des complications potentiellement fatales.
2. Physiopathologie de la douleur thoracique
La douleur thoracique peut être classée selon son mécanisme physiopathologique en trois grandes catégories : viscérale, pariétale, et référée.
- Douleur viscérale : Origine souvent cardiaque, pulmonaire, ou digestive, elle est généralement diffuse, mal localisée, et associée à une sensation de lourdeur, de pression, ou de serrement. Par exemple, l’ischémie myocardique provoque une douleur viscérale typique en raison de l’hypoxie des myocytes.
- Douleur pariétale : Liée aux structures de la paroi thoracique (muscles, côtes, articulations), elle est souvent bien localisée, reproductible à la palpation, et aggravée par les mouvements ou la respiration.
- Douleur référée : Elle provient d’un organe éloigné, comme une douleur irradiant vers le thorax à partir d’une atteinte abdominale (ex. : cholécystite).
Cette distinction aide à orienter le diagnostic, bien que les présentations cliniques puissent parfois se chevaucher.
3. Causes de la douleur thoracique
3.1 Causes cardiaques
Les causes cardiaques sont les premières à considérer en raison de leur potentiel de gravité. Parmi elles :
- Infarctus du myocarde (IDM) : Caractérisé par une douleur thoracique constrictive, rétrosternale, irradiant souvent vers le bras gauche, la mâchoire, ou le cou. Elle est fréquemment accompagnée de sueurs, nausées, et dyspnée. La survenue brutale et l’intensité de la douleur sont des signaux d’alarme.
- Angor (angine de poitrine) : Douleur similaire à celle de l’IDM, mais généralement déclenchée par l’effort et soulagée par le repos ou la nitroglycérine.
- Péricardite : Douleur thoracique pleurétique, souvent aggravée en position couchée et soulagée en position assise ou penchée en avant. Un frottement péricardique peut être audible à l’auscultation.
- Dissection aortique : Douleur thoracique soudaine, déchirante, irradiant vers le dos. Elle s’accompagne souvent d’une asymétrie des pouls ou d’une hypertension artérielle.
- Myocardite : Douleur thoracique associée à des symptômes infectieux (fièvre, fatigue) et à des anomalies électrocardiographiques.
3.2 Causes pulmonaires
- Embolie pulmonaire : Douleur thoracique pleurétique, souvent associée à une dyspnée aiguë, une tachycardie, et une hypoxie. Le risque thrombotique doit être évalué (score de Wells, D-dimères).
- Pneumothorax : Douleur thoracique unilatérale, brutale, associée à une dyspnée et une diminution des bruits respiratoires du côté atteint.
- Pneumonie : Douleur pleurétique accompagnée de fièvre, toux, et expectorations.
3.3 Causes digestives
- Reflux gastro-œsophagien (RGO) : Brûlure rétrosternale, souvent postprandiale, aggravée en position couchée. Elle peut mimer une douleur cardiaque.
- Spasme œsophagien : Douleur thoracique intense, parfois déclenchée par l’ingestion d’aliments froids ou chauds.
- Ulcère gastrique ou duodénal : Douleur épigastrique pouvant irradier vers le thorax.
3.4 Causes musculo-squelettiques
- Costochondrite : Douleur localisée, reproductible à la palpation des articulations costochondrales.
- Fracture costale : Douleur vive, aggravée par la respiration profonde ou les mouvements.
- Syndrome de Tietze : Similaire à la costochondrite, mais avec un gonflement localisé.
3.5 Causes psychogènes
- Anxiété ou attaque de panique : Douleur thoracique associée à une sensation d’oppression, une tachycardie, et une hyperventilation. Ces symptômes peuvent être confondus avec une cause cardiaque.
4. Approche diagnostique
L’évaluation de la douleur thoracique repose sur une démarche structurée :
4.1 Anamnèse
L’anamnèse est cruciale pour orienter le diagnostic. Les points clés à explorer incluent :
- Caractéristiques de la douleur : Localisation, intensité, durée, irradiation, type (constrictive, brûlante, déchirante).
- Facteurs déclenchants et soulagants : Effort, repas, position, respiration.
- Symptômes associés : Dyspnée, sueurs, nausées, fièvre, toux.
- Antécédents médicaux : Maladies cardiovasculaires, facteurs de risque (tabagisme, hypertension, diabète), antécédents digestifs ou psychiatriques.
4.2 Examen clinique
L’examen clinique vise à identifier des signes spécifiques :
- Inspection et palpation : Recherche de douleur pariétale, d’asymétrie thoracique, ou de signes de traumatisme.
- Auscultation : Bruits respiratoires, frottement péricardique, souffle cardiaque.
- Signes vitaux : Tachycardie, hypotension, ou hypoxie suggèrent une cause grave.
4.3 Examens complémentaires
Les investigations dépendent de l’hypothèse diagnostique :
- Électrocardiogramme (ECG) : Indispensable pour détecter des signes d’ischémie (sous-décalage ou sus-décalage du segment ST), une péricardite, ou une embolie pulmonaire (signe S1Q3T3).
- Marqueurs biologiques : Troponines pour confirmer un syndrome coronarien aigu, D-dimères pour une suspicion d’embolie pulmonaire.
- Imagerie : Radiographie thoracique pour un pneumothorax ou une pneumonie, échographie cardiaque pour une péricardite, ou angioscanner pour une dissection aortique ou une embolie pulmonaire.
- Endoscopie digestive : En cas de suspicion de RGO ou d’ulcère.
5. Prise en charge
La prise en charge dépend de la cause identifiée :
- Urgences cardiologiques : Un IDM nécessite une prise en charge immédiate (oxygène, aspirine, nitroglycérine, anticoagulants, et revascularisation par angioplastie si nécessaire). Une dissection aortique requiert une intervention chirurgicale urgente.
- Embolie pulmonaire : Anticoagulation et, dans les cas graves, thrombolyse.
- Causes non cardiaques : Les RGO sont traités par des inhibiteurs de la pompe à protons, les douleurs musculo-squelettiques par des anti-inflammatoires non stéroïdiens, et les causes psychogènes par une prise en charge psychologique.
6. Prévention et éducation
La prévention des douleurs thoraciques d’origine cardiaque repose sur la gestion des facteurs de risque : arrêt du tabac, contrôle de l’hypertension, du diabète, et de l’hypercholestérolémie, ainsi qu’une activité physique régulière. L’éducation des patients sur les signes d’alerte (douleur thoracique intense, sueurs, dyspnée) est essentielle pour encourager une consultation rapide.
7. Conclusion
La douleur thoracique est un symptôme polymorphe qui exige une évaluation rigoureuse et rapide, en particulier en cardiologie où elle peut signaler une urgence vitale.
Une anamnèse détaillée, un examen clinique minutieux, et des investigations ciblées permettent de poser un diagnostic précis et d’initier une prise en charge adaptée.
En sensibilisant les patients aux facteurs de risque et aux symptômes alarmants, les cardiologues jouent un rôle clé dans la prévention et la gestion de ce symptôme fréquent.